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22 avril 2021

La grammaire inclusive à l'épreuve d'une synthèse vocale

Merci à l'Odieux Connard pour son article L’ÉCRITURE PAS TRÈS INCLUSIVE (cliquer) d'où provient cette illustration de la célèbre gravure représentant une soirée à Nuit Debout. Photodescrition (ce que j'arrive à voir) : Trois hommes sont en arrière plan, un autre s'affale sur celui du milieu. Couché devant eux, un homme qui semble tenir une épée. L'homme de droite dit : «La·es ami·e·s vous pouvez être fie·è·r·e·s de vous...». Celui de droite répond : «HO NON, MAURICE FAIT UN AVC !» Dessous, c'est écrit Non, c'est de l'inclusif.


Chers lecteurs, 

Dans cet article, je suis sortie du domaine des chiens-guides pour aborder un autre problème d'accessibilité que rencontrent les déficients visuels qui ne peuvent pas lire «en noir» (expression utilisée par les DV pour désigner la lecture et l'écriture des «voyants»).

Mise en situation

Je m'adresse ici plus spécifiquement aux adeptes de la grammaire prétendument inclusive. Je vous propose un défi : une fois que vous aurez déclenché la vidéo ci-dessous, vous voudrez bien fermer les yeux et vivre, durant quelques minutes, la situation d'une personne aveugle qui prend connaissance d'une lettre, via sa synthèse vocale, étant précisé que je n'ai rien inventé : il s'agit du début d'une circulaire qui a réellement été envoyée par mon Alma mater, – l'Université de Genève pour ne pas la nommer –, à ses étudiants durant la première vague du covid-19 : 

En toute franchise, qu'avez-vous pensé de ce texte ? Ces sempiternelles désinances [øiksɛs] n'ont elles pas détourné votre attention au détriment de celle que vous pouviez accorder à la compréhension du contenu de ce message ? 

Voici une définition de l'inclusion du handicap (cliquer) «L'inclusion est un effort démocratique pour que tous les citoyens, en situation de handicap ou non, puissent participer pleinement à la société, selon un principe d'égalité de droit»

Inclusif ? Vous voulez rire ?

Je vous pose question : n'est-il pas ironique de d'apposer le qualificatif d'inclusif à une langue écrite inadaptée à une partie de ses lecteurs ? 

Soit, nous sommes partis d'une langue écrite articulée autour d'une grammaire qui privilégie la forme masculine. C'est fâcheux. Mais au moins, cette langue avait le mérite d'être parfaitement compréhensible, sans effort, à tout le monde. 

Oui, la langue française est passablement sexiste, je ne peux qu'abonder dans ce sens. Ce n'est pas Catherine Arditi qui me contredira. 


Certaines habitudes ont la vie dure. Il est temps de donner toute la place qui lui revient au féminin et de prendre conscience des mots que nous utilisons. 

La langue tend naturellement à évoluer, les locuteurs créent naturellement de nouveaux mots pour décrire de nouveaux concepts. Alors pourquoi ne pas se cantonner d'agir sur la sémantique ? La création de l'article «iel», l'utilisation des mots épicènes n'est-elle pas suffisante ? La langue inclusive ne se limite pas au point médian nous dit-on. Mais c'est bien lui qui fâche, c'est lui qui enlaidit les textes et rend la lecture imbuvable pour beaucoup de monde. Or, le français appartient à tous ses locuteurs. Pas seulement à un groupe d'idéalistes déconnectés des besoins d'une partie de ceux qui s'expriment dans cette belle langue. Trop d'inclusif tue l'inclusif. 

Qu'est-ce qui empêche, pour conserver la fluidité d'une telle circulaire, d'écrire : chères étudiantes, chers étudiants, et de préciser quelque chose comme par la suite, pour alléger le texte et pour des raisons d'accessibilité, nous utiliserons le masculin pluriel pour désigner toutes les personnes qui s'identifient à un homme, à une femme, ou à aucun genre. Par ailleurs, qu'est-ce qui empêcherait une femme d'adopter une autre convention et d'accorder au féminin pluriel par défaut ? Nous n'en avons pas l'habitude, cela pourrait surprendre, mais au moins ce serait compréhensible ! Quant aux personnes non binaires, ne peuvent-elles pas préciser qu'iels sont non binaire et choisir un genre pour se désigner ?  

Cette façon d'écrire dégoulinante de politiquement correct me fait penser à ces phrases à rallonge que d'aucuns utilisent pour éviter de prononcer certains mots. Personnellement lorsque j'entends : «une personne en situation de...» je sens la gêne du locuteur qui essaie d'éviter de prononcer un mot qui fâche. S'il s'interdit d'utiliser spontanément des mots tels que handicapé, aveugle, autiste, etc. par peur de dévaloriser ou stigmatiser la personne, c'est peut-être parce que pour lui, être différent, c'est dégradant ? Sinon pourquoi vouloir éluder ces vocables ? 

C'est tellement plus agréable d'être abordé par des personnes naturelles qui s'adressent à nous comme à n'importe qui, sans avoir besoin de faire mille circonlocutions et de se sentir presque obligées de s'excuser d'avoir remarqué notre différence. Si un terme est banal, on n'a pas besoin d'en faire des caisses. On le prononce, tout simplement. J'ai adoré la façon dont Valérie Paccaud et Yann Marguet, deux humoristes suisses-romands, ont su pointer ces habitudes du doigt. 


Le verbe conduit la pensée. Et... si c'était l'inverse ?

L'un des arguments majeurs, pour justifier cette grammaire dite inclusive, vient de la théorie selon laquelle le verbe conduirait la pensée. Devons-nous en conclure que les autistes non oralisants (dits abusivement non verbaux) soient dépourvus de pensée ? Comment expliquer leur capacité de communiquer via des images ou par des applications de Communication Alternative et Améliorée (CAA) ? Une personne qui deviendrait aphasique suite à un AVC perdrait-elle subitement sa capacité de penser ? 

Et si c'était l'inverse à savoir que ce serait plutôt la pensée qui structurait le langage ? Je vous suggère de consulter cet article très intéressant La pensée est-elle contenue dans le langage ?

Là où cela devient troublant, c'est que de nombreuses personnes, qui plaident sans relâche pour l'utilisation massive de ·e·s (voire même ·e·x·s) dans le but de faire évoluer la pensée, et de rendre la société plus égalitaire ne voient aucun inconvénient à créer des textes inaudibles pour ceux qui lisent avec une synthèse vocale. Interrogées à ce sujet, elles bottent en touche grâce à l'argument suivant : «Ces synthèses seront mises à jour, il n'y aura plus de problème». J'imagine qu'elles croient que ces mises à jour leurs seront proposée gratis pro deo ! En attendant, elles demandent de manière décomplexée aux aveugles de s'adapter et osent apposer le qualificatif d'«inclusif»  à leur grammaire parfaitement exclusive. 

Mais soit suivons, dans leurs arguments, les personnes adeptes de grammaire «inclusive». Si nous appliquons leurs préceptes selon lesquels il faut changer la grammaire pour provoquer un changement dans les mentalités à leur à leur façon de se débarrasser de la question des personnes aveugles mais aussi dyslexiques / dysorthographiques, nous pouvons en conclure logiquement que : 

le verbe provoque la pensée, 

– or le verbe – bien que très accessible pour tout le monde – privilégie le masculin, valorisant par la même le machisme ➡️ il convient de le changer pour créer une égalité masculin/féminin car le machisme n'est pas acceptable.

– or la langue proposée, pour remédier au machisme, est très peu accessible aux aveugles, aux dyslexiques/dysorthographiques. Nos Universités, nos administrations, nos politiciens usent et abusent de cette «grammaire» ➡️  Nos institutions valorisent sans vergogne l'inégalité de fait entre personnes non handicapées et handicapées. 

Conclusion 

               


         sexisme                                   validisme
                           


Surcharge cognitive

Bien sûr, certains objecterons qu'ils connaissent une personne aveugle qui n'a pas de problème à comprendre ce que lui lit sa synthèse vocale en dépit de ces phonèmes parasites ou un dyslexique/dysorthographique qui n'est pas dérangé. 

J'ai fait un petit sondage dans un groupe Facebook pour DV en leur mettant la vidéo ci-dessus en lien, histoire de connaitre leur réaction. 

Sur mon petit échantillon de 13 utilisateurs de synthèses vocales qui ont bien voulu prendre le temps de me répondre, seuls 3 d'entre eux ont répondu que cette circulaire était compréhensible. Une utilisatrice a ajouté une option à celles que j'avais introduites : «c'est compréhensible, mais lourd». Cette option a obtenu 6 votes. Enfin, 4 autres utilisateurs ont indiqué que cette circulaire était incompréhensible pour eux. 

Pourquoi cette différence ? 

Nous n'avons pas tous les mêmes capacités cognitives : capacité d'attention – concentration, mémoire de travail, aisance verbale... La cécité n'est pas une immunité contre un déficit d'attention ou un trouble dys. 

Lorsqu'une tâche est trop exigeante pour une personne, cette dernière va se retrouver en état de surcharge cognitive. Dans le cas présent, l'énergie utilisée pour neutraliser ces phonèmes parasites va interférer sur celle dédiée à la compréhension du sens des propos. 

Par ailleurs, faut-il le rappeler, contrairement à la vision qui permet de diriger son regard directement sur un groupe de mots, et d'écrémer un texte (et donc de relire uniquement ce qui n'a pas été compris), l'audition ne procède pas de la même manière. L'écoute d'un texte est dépendante de la chaîne parlée, il faut réécouter bien plus que les simples mots qui n'ont pas été compris ou entendus en cas de distraction passagère. Cela requière une bien meilleure attention. De surcroît, toutes les personnes aveugles ne le sont pas de naissance. Certaines ont même très bien vu par le passé et leur canal sensoriel de prédilection pour apprendre et appréhender le monde était peut-être bien le canal visuel. Perdre la vue ne les rendra pas auditives pour autant. C'est le cas d'une amie qui a connu une vue parfaite. Elle ne me reconnaît pas à ma voix, je dois lui dire qui je suis. Comme elle me l'a expliqué : j'étais quelqu'un de visuel, je n'ai jamais appris à porter de l'attention aux voix ! 

Répondre à une administration qui pond une lettre en se servant d'une grammaire validiste

Pour susciter une réaction aux administrations qui m'écrivent en «inclusif» et me mettent en surcharge cognitive, je songe très sérieusement à leur répondre en inclusif... Sonore, mon inclusif ! En me servant de l'alphabet phonétique international (API) histoire de faire passer le message.

Avec la circulaire dont il était question, cela donnerait :

«Cherøiksɛs étudiantøiksɛs

Nous vous adressons ce mail afin de vous tenir informéøiksɛs des dernières évolutions de la situation.

À la suite de la fermeture de l’université, le rectorat a donné pour instruction la non-prise en considération des échecs et demandé aux facultés d’appliquer des principes d’égalité et de bienveillance. Avec ces directives larges, les facultés ont donc demandé aux professeurøiksɛs de définir leurs modalité d’évaluation. Ainsi, à ce stade, les modalités d’évaluation ont été décidées par les professeurøiksɛs et les disparités en termes de compréhension du concept de bienveillance sont grandes. Le rectorat s’est déchargé de sa responsabilité sur les facultés qui elles-mêmes l’ont délestée sur les professeurøiksɛs, laissant les étudiantøiksɛs négocier directement avec elleux alors même que ce sont les personnes qui vont les évaluer.

Dans différentes facultés, des étudiantøiksɛs se sont mobiliséøiksɛs pour contester des modalités d’examens qui n’étaient pas en accord avec les situations vécues. Beaucoup de ces mobilisations ont payé. 

Ainsi voici un résumé des démarches à effectuer si les modalités de certains examens ne vous paraissent pas adéquates :

-        Il nous paraît nécessaire de se réunir (virtuellement) avec vos camaradeiksɛs soumisøiksɛs aux mêmes conditions d’examens afin d’écrire une lettre formelle avec pour objet : demande de reconsidération des modalités de l’examen... Cette lettre contient les motifs qui motivent la demande de reconsidération et les solutions alternatives proposées.

-        Cette lettre doit être envoyée aux doyennøɛs des facultés avec l’association d’étudiantøiksɛs facultaire en copie ainsi que la CUAE, si vous le souhaitez.

(…)».


Je me suis intéressée, jusqu'ici, aux DV qui se servent de synthèses vocales. Que se passe-t-il pour de l'inclusif sur une écriture braille ? 

Avez-vous une idée de l'espace que prend cet alphabet ? J'imagine que non. Non seulement cette écriture prend beaucoup plus de place qu'une écriture en noire, mais en plus il faut utiliser un papier épais (160 g). Pour vous donner une idée, la retranscription en braille des 7 livres de la saga de Harry Potter représente 56 volumes épais de 30 cm chacun. 

Vous comprendrez que l'inclusif ne participe pas à diminuer l'espace utilisé par des textes en braille... Heureusement que les cécogrammes sont gratuits... 

Pour conclure, je tiens à citer un article de l'Odieux Connard, dont j'ai savouré chaque ligne : L'écriture pas très inclusive. Voici une phrase qui résume tout : «C’est un peu comme faire une réunion sur le thème de la tolérance, mais en haut d’un escalier parce que «Les escaliers, c’est un beau symbole, on s’élève, et c’est notre but». Ça consiste à faire chier concrètement des gens pour une satisfaction symbolique».


La grammaire française aurait vraiment matière à porter plainte pour viol (voici le sketch d'anthologie de Kevin Razy 🤣 )...




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