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15 mai 2018

Présentation à la Haute école de travail social ▪ HES-SO Genève. Deuxième partie

Les points qui me paraissent saillants dans les deux vidéos que j'ai mises dans la fin de la première partie sont les suivants : 

1) – la manie de penser à la place de la personne handicapée .


2) – Je n’ai pas mis d’extrait mais j’aurais pu, – je l’ai personnellement moins vécu que mes amis aveugles –, ce sont les situation où l’on s’adresse à la personne accompagnante comme si nous avions tous laissé notre cerveau dans la table de nuit. Pendant que j’y suis, il y a aussi une manie que semble avoir épousé certains qui travaillent avec des personnes handicapées – j’ai connu un chauffeur pour transport accompagné qui m’a fait le coup – de s’adresser à nous à la troisième personne et d’utiliser le «on». Le souci c’est que c’était quelqu’un de gentil. J’ai donc réfréné mon envie de me servir de ma canne blanche façon Tortue Ninja (on devrait faire des cours martiaux canne-blanche). J'aurais bien répondu à un de ses  «on va bien ?» avec un truc du genre : «oui, j’ai fait popo ce matin !» pour 


3) – Il y a ceux qui, sans nous aborder, se posent des questions à notre propos et en font profiter tout le  monde dans les environs. Certains perdent de belles occasions de se taire... Telle la femme qui, au restaurant dans le complexe d'Ovronnaz les bains, a réussi à dire à son mari «elle ne prend quand même pas son chien dans la piscine ?». Je me serais bien vu lui dire «Mais bien sûr que si Madame, mon chien est tout désinfecté, il passe ses quatre pattounes dans le pédiluve, et ça se justifie, j'en ai besoin pour trouver les buses pour me masser dans l'eau !». J'imagine déjà la scène... Merci à l'amie qui a fait ce traitement d'image ;-)


 Description : Une photo provenant du site de la station thermale d'Ovronnaz avec les deux bassins extérieurs. Une photo de Yuka et moi qui nageons dans le lac a été transférée dans le bassin du premier plan. J'ai une main posée sur son le dos de Yuka qui est orientée vers les buses et, dans une bulle écrit en blanc sur fond noir, je dis «Yuka, vai busa !». Yuka, va vers les buses !  




4) – c’est plus avec mon chien-guide que j’expérimente la bêtise des gens (mais c’est aussi grâce à lui que je fais de belles rencontres). Je vous promets que la scène de la femme penchée sur le chien-guide dans le dernier épisode «d’un regard pour deux» n’avait rien d’exagéré. Ces gens ne sont pas conscients des conséquences de leurs actes et d’ailleurs, certain ne veulent surtout pas les connaître. Je vais en parler plus loin, parce que dans ma vie quotidienne, c’est devenu une grande thématique. 

Quand les gens veulent nous aider mais s’y prennent très mal, sachant que ça part d’une bonne intention, c’est assez pénible parce que c’est difficile de protester lorsqu’ils me mettent des bâtons dans les roues (il y a eu des démos de ce qui peut gêner dans les films, et je vais citer une amie facebookienne qui en parle également très bien, sous le sujet «marche»). Je pense aux suivants qu’ils risquent de ne plus vouloir aider si je les rabroue. Mais pourquoi diable ne pas nous demander si nous avons besoin d’aide et comment nous l’apporter pour que ce soit utile ? Sans insister si nous déclinons cette proposition, ce n’est pas un rejet, ni de la fierté mal placée ou je ne sais pas quoi encore. C’est juste que nous n’en n’avons pas besoin à ce moment là. Je fais toujours attention de dire gentiment merci, lorsque je décline la proposition d’aide mais certains le prennent quand même mal. C’est après devant des gens qui insistent lourdement que je peux m’énerver. Et si je m’énerve, ce n’est pas parce que je suis aigrie d’avoir un handicap. Nous aussi avons une vie, avec ses joies, ses peines, et parfois, nous sommes bêtement de mauvais poil, comme tout le monde ! Je peux avoir reçu une mauvaise nouvelle, avoir un jour de M., me faire du souci pour quelqu’un de ma famille, avoir un animal malade, bref comme n’importe qui d’entre vous !

Là encore, c’est souvent avec Yuka que les gens veulent m’imposer une aide inutile. Sincèrement ils ne savent pas les gens que nous avons reçu une formation avec notre chien-guide, que nous savons le gérer et que si nous déclinons l’aide, c’est que tout va bien ? Si j’appelle Yuka en étant désespérée qu’elle ne revienne pas (c’est arrivé à la Perle du Lac qu’elle s’éloigne trop) là je ne dirai jamais non à un coup de main (qui n’arrive pas forcément…).

Dans cette situation, que voyez-vous ? Je suis au bord d’un trottoir, Yuka en bas, dans le caniveau, je suis penchée et lui parle en frottant la canne contre le bord du trottoir en contrebas (donc je ne peux ignorer que Yuka se trouve en bas, au bord de la route je choisis mes endroits). Lorsque je lui fais faire des va et viens et je lui dis «Yuka, stacca !». Ai-je vraiment la tête de la personne qui attends pour traverser ? Vous avez déjà souvent traversé une route dans cette posture ? 

Un chien-guide apprend à faire ses besoins dans le caniveau puisqu’il nous est difficile de ramasser ses déjetions. Nous ne pouvons décemment pas les laisser faire au milieu du trottoir.  

Je site une amie facebookienne, Lilia Ouerdi qui est aveugle et qui a rédigé un texte à partager pour favoriser le dialogue entre bien voyants et déficients visuels. Voici un extrait de ce qu’elle a écrit:

«Parlez

C’est primordial. Le premier contact avec quelqu’un c’est généralement un petit signe, un sourire… Essayez la même chose avec des mots. Faites vous connaître, un simple bonjour ne suffit pas. Il m’est arrivé de rencontrer quelqu’un à l’entrée de mon immeuble, de prendre l’ascenseur avec lui, et de m’apercevoir au final que chacun ouvre sa porte sur le même palier. C’était donc mon voisin ! Lui bien sûr il m’a reconnu, mais pas moi.

Vous présenter autorise le mal ou non-voyant à échanger avec vous, ce qu’il n’osera pas faire sans y avoir été invité. Car si bienveillante que soit l’expression de votre visage, il ne la voit pas.
Dites ce que vous faites

Parler c’est important partout : dans la rue, à l’intérieur d’un immeuble ou d’un magasin. Parlez afin que votre intervention soit compréhensible et acceptée plutôt que subie. Combien de fois ai-je été dévié de ma trajectoire par un passant sans savoir pourquoi. Tandis qu’il accomplit la manœuvre qui m’évite sans doute un choc ou une chute, pas un mot. La soudaineté parfois impérieuse avec la quelle je suis manipulée me perturbe. En pensant prendre le contrôle d’une situation qu’il juge délicate ou dangereuse pour moi, ce passant a pris le contrôle de ma personne. Je suis aveugle, pas inanimée ! 

Ce qu’il fallait faire? m’avertir : “Attention, Madame, il y a une poubelle devant vous, puis-je vous aider ?”

L’empressement muet et parfois fanatique des gens vis-à-vis d’un aveugle peut prendre des tournures drolatiques et parfois inquiétantes. Certains craignent la contagion bien connue de notre mal et s’emparent d’une manche de notre veste pour nous déplacer. D’autres diagnostiquent une panne d’essence et nous poussent par l’arrière. Le plus stupéfiant est sans doute d’être dirigé par la canne qui fait alors office de laisse, à moins qu’on ne la confonde avec la perche du remonte-pente sur une piste de ski.

Ces comportements peuvent paraître caricaturaux et pourtant ils ne sont pas exceptionnels. La maladresse des voyants est liée à leur méconnaissance des véritables besoins de la personne handicapée visuelle. Le plus simple, c’est donc de proposer son aide au lieu de l’imposer, en parlant le premier. La personne aveugle vous confiera sans complexes le mode d’emploi pourvu que vous osiez le lui demander.

Parlez normalement

Les non-voyants se servent de tous les mots du dictionnaire. Ne vous censurez pas pour ménager une susceptibilité que vous imaginez et qu’ils ne ressentent absolument pas : vous penserez peut-être faire preuve de délicatesse en évitant les mots qui se rapportent de près ou de loin à leur handicap. Or vous risquez ainsi de compliquer à outrance la communication et d’instaurer un malaise qui n’existait pas. Les déficients visuels emploient tout aussi étourdiment que les voyants des automatismes de langage comme “tu vois”, “t’as vu”, “à vue d’œil”, etc…et diront tout naturellement qu’ils ont vu à la télé ceci ou cela.

La marche

Pour qu’un non-voyant se guide d’après vous, le mieux est de lui offrir votre bras, de préférence le droit afin de laisser libre et opérante sa propre main droite, celle qui la plupart du temps tient la canne (on fait l’inverse pour un gaucher). Pensez combien il est plus agréable de suivre le mouvement d’une personne plutôt que d’être tiré par elle, et combien c’est plus efficace». 

Comme vous pouvez le constater, elle aussi insiste sur le fait de parler. Tout passe par là, n’est-il pas plus simple de demander «comment puis-je vous aider ?», ceci quel que soit le handicap, plutôt que d’agir ? La parole est peut-être encore plus centrale chez le déficient visuel parce qu’elle doit remplacer la gestuelle, les expressions faciales, et parce que la vue est un sens qui permet de contrôler l’espace, qui agit à distance, contrairement au toucher. Il y a une entrée à distance dans l’environnement qui fait défaut.

Les déficients visuels sont souvent bien connus pour être bavards. Je ne déroge pas à cette règle. Enfin, ça dépend quand même du contexte. 

Nous ne sommes pas seulement bavards, nous sommes aussi souvent de bons lecteurs. Il me faut un petit moment pour vous parler de ce que j’appelle le franbia (un néologisme formé de la contraction de français & charabia) : je veux désigner par là cette nouvelle mode qui consiste à écrire à la sauce grammaire exclusive… oops que dis-je ? La grammaire soi-disant inclusive… pas à l’attention des déficients visuels en tout cas. Je vais vous faire une petite démo de ce que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Les aveugles et malvoyants qui ne peuvent pas lire le noir (comme je suis en train de le faire, avec mon texte en grands caractères et des contraste élevé), aimeraient néanmoins avoir le droit, eux aussi, de pouvoir lire, s’imprégner de beaux textes, s’informer, se divertir. Ils peuvent le faire de deux manières : le braille et les synthèses vocale. 

Que se passera-t-il quand cette atrocité aura cours ? Commençant par le braille. Vous le savez peut-être, cette écriture prend énormément de place. À titre d’exemple, la National Braille Press, maison d'édition de Boston, a réalisé l'exploit d’imprimer l’œuvre complète de Harry Potter. Avez-vous une petite idée de ce que cela représente en braille ? 56 volumes, épais de 30 cm chacun ! Je vous laisse imaginer ce que redonnera la retranscription via un scanner, de tout ces signes surajoutés parfaitement inutiles pour accéder au sens du texte ! 

La synthèse vocale maintenant. Largement utilisée par les déficients visuels. J’ai fait une petite démo via mon logiciel VisioVoice, de ce qu’un texte écrit en franbia peut donner. Enjoy !   





Sérieusement, au bout de combien de temps auriez-vous envie de balancer votre ordi par la fenêtre ? 

Si cette mascarade devait vraiment voir le jour, il faudrait que l’ETI  (Ecole de traducteurs et d’interprètes) ici à Genève ajoute l’étude du franbia nouvelle langue. Les traducteurs en franbia langue passive pourront le traduire en français langue active à l’usage des aveugles. En franbia langue active, les traducteurs pourront traduire les belles lettres en franbia à l’usage des adorateurs d’une langue politiquement correcte pour qui la forme prime sur le sens ou le fond. Il faudra aussi songer à augmenter les contributions d’assistances à l’attention des aveugles afin qu’il puissent financer le salaire d’un traducteur qui sache leur traduire des textes abscons en français...

Sincèrement je suis une femme et heureuse de l’être, je suis pour l’équité entre hommes et femmes. Je suis une amoureuse des mots aussi et je milite pour le droit à pouvoir accéder au sens de textes écris. Après tout, l’écriture a été inventée pour cela, pour transmettre un message. Ce dont nous, les femmes, avons besoin, c’est de considération et d’une abolition de privilèges qui n’ont pas lieu d’être. À travail égal, un fiche de paie libellée en franbia nous fera une belle jambe, si notre salaire reste inférieur. C’est par l’égalité du montant indiqué sur cette fiche de paie que les femmes sauront que leur travail est autant valorisé que celui des hommes. En quoi un accord au masculin devrait-il nous défriser ? Ne sommes-nous pas assez intelligentes pour imaginer que derrière un participe passé ou un adjectif accordé au masculin pluriel, il peut y avoir des représentant des deux sexes et ceci sans le moindre effort intellectuel ? L’intelligibilité d’un texte, l’accès au sens pour les aveugles doit-il vraiment être sacrifié pour des histoires d’ego de féministes chatouilleuses ? Devons-nous vraiment empêcher l’accès au sens d’un texte pour les aveugles et ceci juste pour leur bon plaisir ? Ce qui compte, c’est de respecter tout le monde, les aveugles front aussi partie de cette société, que je sache ! 

La troisième partie sera bientôt en ligne

Yuka & Talaria 💞 Merci de votre visite. N'hésitez pas à liker, à partager, à commenter. Votre avis m'intéresse ! À bientôt pour des prochaines aventures 🐾👣

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